Une ombre sur le mur
Voici une nouvelle que j’ai retrouvée dans mes archives… écrite à l’époque en Word Perfect!
Un mélange de polar, inspiré d’Edgar Allan Poe et de l’allégorie de la caverne…
Bonne lecture!
10 janvier 2000
UNE OMBRE SUR LE MUR
Le rouge clignotait à intervalle régulier, comme le battement d’un cœur électrique, infatigable. La ville en dessous du néon dormait nerveusement d’un sommeil urbain et mouvementé, bruyant, sous chaque lampadaire-témoin. Bryxie’s…Bryxie’s…Bryxie’s… Même l’épaisseur des rideaux ne réussissait pas à cacher l’éclat de ce mot répétitif et envahissant qui teintait l’appartement minuscule de la troisième avenue. La fumée de cigarette apparaissait et disparaissait au même rythme lourd et continue, en changeant simplement de forme et de sinuosité.
-Fiel! Dis-moi ce qui se passe?
Encore de la fumée, rouge, puis blanche, rouge, puis blanche.
Les chaussettes trouées, le jeans sur la table, l’heure était à la nuit. La main ne tremblait pas. La Gauloise pendouillait gentiment le long des doigts effilés et maigres de l’ombre sur le mur. Elle était rouge elle aussi, d’un rouge foncé qui fait souvent penser au sang et à sa consistance. Il y avait une épaisseur dans ce rouge qui troublait l’esprit, même si cette ombre se trouvait seule sur ce mur. Elle aurait dû être noire.
Pourtant, rien ne paraissait dangereux dans ce décor à part ce clignotement infatigable, cette tache rouge qui apparaissait et disparaissait sans cesse. Le corps d’un homme affaissé, accroupi, le bras étendu sur la pointe du genou, la main vers le bas, au doigt une cigarette. C’était si facile de revenir à la réalité, de cesser ce jeu stupide et inutile. Mais il cherchait à comprendre.
-Elle aurait dû être noire…
Malgré tous les efforts, c’était à en devenir fou, cette maudite tache sur le mur se confondait tout de même au reste, participant à l’harmonie discordante de cet appartement de la troisième avenue.
Seul le Bryxie’s aurait pu fournir l’indice de la scène rouge, de la tache rouge sur le mur. Elle aurait dû être noire…
Le battement infatigable de la ville n’avait pas cessé. Chacun dans son lit entendait son rythme, le connaissait par cœur. Ils s’étaient habitués, avaient appris à l’aimer, même jusqu’à le trouver familier. Presque. Mais lui ne comprenait pas. La consistance de ce rouge lui était étrangère. Elle envahissait tout son minuscule appartement de la troisième avenue, s’infiltrait sur le lit, le fauteuil, le tapis, les murs, s’était accrochée jusqu’à son ombre. Cette ombre c’était lui, c’était tout ce qui restait de lui. On l’avait souillé. De rouge.
Il étirait son bras sur cette ombre, elle bougeait avec lui, suivait ses moindres gestes. Il s’approcha d’elle et elle de lui. Près du mur, il plongea le doigt pour mieux s’assurer de la consistance de cette image de lui-même. Elle fit de même. Son doigt heurta une surface lisse et brillante, et une tache rouge se dessina au contact de l’un et de l’autre. Il sursauta. Cette ombre n’était pas la sienne, cette ombre s’était lui. Son reflet dans le miroir lui renvoyait son corps couvert de rouge, d’un rouge sang d’une consistance épaisse. Derrière clignotait le néon avec toujours le même rythme. Bryxie’s…Bryxie’s…Bryxie’s éclairait de façon intermittente le rouge à lèvres sur la table, le sac à main ouvert, le vin renversé.
Sur le fauteuil, une main vers le bas, au doigt, un peu d’ombre coulait sur le tapis.
© Chanty Richer 2020

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